Le français sans fautes : répertoire des erreurs les plus fréquentes de la langue écrite et parlée
Nombreux sont nos compatriotes qui, à juste titre, se plaignent que, tant à la radio qu’à la télévision, la langue française soit écorchée, voire massacrée, par des gens qui, étant appelés par leur profession à s’adresser à des millions d’auditeurs, devraient normalement la respecter, d’autant plus qu’ils ont fait des études qui, sauf exceptions, les ont menés au moins jusqu’au baccalauréat. Mais ces critiques seraient bien embarrassés pour dire dans quelles parties des programmes scolaires les éminents « pédagogues • chargés de les établir ont prévu de faire enseigner en classe les formes correctes pendant les très nombreuses heures de cours portant dans les emplois du temps la noble et alléchante appellation de « français •. Car, en réalité, la plus monumentale indifférence règne dans ce domaine pourtant essentiel. C’est pourquoi notre jeunesse studieuse ne dispose pas d’un seul manuel scolaire dont le contenu habilement élaboré et dosé en tenant compte des principales victimes du massacre lui permettrait de ne pas s’y livrer, aujourd’hui ou demain. La déplorable lacune que constitue l’absence totale d’une programmation systématique et progressive de l’enseignement de notre langue et des formes correctes qui doivent se substituer à celles qui sont le plus souvent malmenées ~utit non seulement à l’anarchie dans ce domaine,· mais aussi à un certain mépris de toutes ces questions apparemment sans importance
. Dans ces conditions, ne nous étonnons pas qu’un Premier ministre français, de surcroît reçu premier à l’ agrégation de lettres modernes, ait pu dire entre autres choses à la télévision, et souvent plusieurs fois : «Vous disez », forme très inattendue de «vous dites». «Un espèce de», au lieu d’ « une espèce». «Il faut mieux», à la place d’ «il vaut mieux». «Une étoile auquel accrocher son espoir», « … à laquelle». De la même façon, deux ans plus tard, l’un des plus célèbres de nos compatriotes, dont je tairai également le nom, déclara à la télévision le jour même de sa brillante élection à l’Académie française : «Ceci dit», alors que l’emploi du pronom cela est nettement préférable. «J’ai pas l’impression», au lieu de «je n’ai pas». «Les dépenses qu’on a fait», pour «qu’on a faites». «Une œuvre auquel je crois», au lieu de «à laquelle». «L’environnement dans lesquels nous vivons», alors que le pronom relatif lequel s’imposait sans conteste. «Le rôle de 1′ Académie est déterminante», accordant cet adjectif non point avec le sujet qu’il qualifie, mais avec le complément qui le précède directement *.
Soyons objectifs. Quand un agrégé de lettres modernes et un nouvel académicien s’expriment de cette déplorable façon non en compagnie de familiers mais devant des millions de gens, il est très malaisé de reprocher à des professionnels de la radio ou de la télévision d’en faire autant par ignorance ou par désinvolture. A ce rythme, le jour n’est pas loin où il y aura autant de langues françaises que d’habitants de ce pays ! En raison même de ce désordre, qui affecte notamment le voca- • N’oublions pas ce secRtaire d’lht qui, un beau mercredi, devant les ~ de la ~Evision, d6:1ara à l’ Assembl6c naliooale : «Les zadlcapis sont oortls dehors. » bulaire, dont le sens peut varier d’un citoyen à un autre, la langue française, dont on vante si souvent la clarté et la précision, est aujourd’hui la seule et unique au monde dont des dizaines de millions d’usagers prennent de plus en plus:
1. Le plan pour la sphère en donnant au globe terrestre le nom usurpé de mappemonde, qui désigne en réalité une carte plane. 2. Le jour pour l’année en s’imaginant qu’une décade est une période de dix ans (soit une décennie), alors qu’elle ne dure que dix jours. 3. Le lauréat pour le candidat en nommant ce dernier impétrant, alors qu’il n’est que postulant. 4. Le quart pour le quadruple dans quarteron, qui n’a jamais signifié «quatre», mais le quart de cent, soit vingt-clnq et, dans certains coins de France, le quart d’une grosse (trois douzaines), soit trente-six. 5. L’innocent pour le coupable dans «le sol-disant assassin» qui, jurant ses grands dieux qu’il n’ajamais tué personne, est en réalité un « prétendu assassin». 6. La clientèle pour ce qu’elle achète dans achalandé, qui qualifie en fait un magasin où abondent non pas les marchandises mais les chalands, qui sont des clients, comme vous le confirmeront des millions de francophones belges, suisses et canadiens. 7. L’ignorance pour le savoir dans ce ridicule et ~nt «vous n’êtes pas sans ignorer» que tant de beaux esprits emploient bien à tort pour dire «vous n’êtes pas sans savoir», et qui signifie très précisément le contraire. 8. L’essentiel pour l’accessoire dans cette lancinante «simple péripétie» dont tant de journalistes nous rebattent les oreilles en croyant bien à tort parler d’un épisode sans importance. 9. L’intérieur pour l’extérieur en baptisant gicbette la partie d’une anne à feu sur laquelle on appuie et qui est (la queue de) détente, ou en désignant sous le nom usurp6 d’arrimage la jonction de deux vaisseaux spatiaux, qui est un amarrage.
La légitime reprise de son propre bien pour la prise pure et simple, la saisie, le vol («les voleurs ont récupéré tous les bijoux»). Le verbe récupérer est ainsi détourné de son véritable sens, qui est celui de recouvrer. La première fois pour la seconde ou les suivantes en déclarant qu’un remplaçant rentre sur un terrain de football où il n’a pas encore mis les pieds, comme si le verbe entrer avait cessé d’exister. Enfin, n’oublions pas les boissons alcooliques, soit à base d’alcool, comme le vin ou le rhum, injustement baptisées alcoolisées comme s •il s •agissait de l’eau gazeuse et de la limonade additionnées d’alcool en y versant du whisky, par exemple. Ces douze exemples éloquents, auxquels s’ajoutent des centaines d’autres, démontrent à l’évidence la nécessité d’un ouvrage contribuant efficacement à sauver la langue française du délabrement dont elle est lobjet en mettant enfm les choses au point non seulement dans le vaste domaine du vocabulaire, mais aussi dans celui de son orthographe, sans oublier ceux de la prononciation et de la grammaire, si souvent violées par manque d’information. Cette di vision en quatre parties devrait inspirer les sages qui régissent notre enseignement, s •ils se décidaient enfm à échafauder dans nos écoles, nos collèges et nos lycées une étude solidement organisée et charpentée de la langue française, s’étalant sur plusieurs années de façon progressive. Une telle entreprise est d’autant plus utile que, au cours de leurs études comme aux exàmens et dans l’exercice d’une profession, ceux qui par ignorance ou insouciance lutinent exagérément la langue française risquent de connaître bien des désagréments sous forme d’échecs scolaires ou de licenciements, notamment quand ils sont incapables de rédiger convenablement un rapport. 10 Pour être aussi efficaces que possible, les très nombreuses mises au point contenues dans le présent ouvrage tiennent le plus grand compte des fautes le plus couramment commises, dont l’élimination représenterait déjà un progrès appréciable. En labsence de tout véritable manuel de langue française qui, en bonne logique, devrait servir de vade mecum aux écoliers, aux collégiens, aux lycéens, aux étudiants, ainsi qu’aux adultes ayant achevé leurs études, le livre qui leur est ici proposé devrait utilement combler cette béante lacune.
Enfin, ceux qui tiennent à ce qu’elle conserve une place de choix sur le plan international comprendront sans peine qu’une détérioration progressive et irrémédiable de la langue française lempêcherait à coup sOr d’atteindre cet objectif dont cet ouvrage devrait la rapprocher dans une certaine mesure. Ayant arbitré quelque cinq mille émissions de téiévision consacrées en tout ou partie à la langue française, je crois pouvoir affumer que tous les espoirs sont permis dans ce domaine.